
Pourquoi les masses [sick] se dirigent-elles tête première vers la catastrophe, sans se poser de questions ou si peu, ou plutôt en ne se posant pas les bonnes questions, en se demandant Quelle robe mettre ce soir? Quelle cravate se pendre au cou? Devrais-je acheter tel bidule divertissant ou tel autre qui coûte deux fois plus chers? Lequel sera obsolescent moins rapidement? Est-il préférable de mettre de l’argent de côté pour mon REER, mon CELI ou tout claquer maintenant ou investir dans le Bitcoin ou les réserves de pétrole avant qu’il n’en reste plus? Combien gravir d’échelon? Me soumettre à mon patron? Me mettre à genou pour viser plus haut? Offrir mon cul au plus offrant? M’avilir toujours plus pour combler mes désirs insatiables? Ce genre de question et bien d’autres plus insipides. Quelle série bingwatcher? Prendre quel parti dans le drama du moment? À quel politicien beige donner mon vote?
Pourquoi les gens embrassent ce qui nous mènent à la catastrophe? Pourquoi lorsqu’on leur explique qu’Un autre monde est possible, ils continuent de voter et d’acheter pour la destruction de la planète? Pourquoi ne voient-ils pas l’envers du décor? Pourquoi les pubs sont-elles des objets qui vont de soi, des meubles dans le décor de l’hypermodernité? Pourquoi ne voient-ils pas le poison qu’elles représentent? Pourquoi se laissent-ils aller au subterfuge, ne percent-ils pas la supercherie? Pourquoi écoutent-ils attentivement les boniments des charlatans? Qu’est-ce qui les fait suivre le pendule de l’hypnotiseur et ses commandements? Consentants ils sont cons, on s’entend? Parce qu’il est bien connu que les suggestions sous l’effet de l’hypnotisme ne fonctionnent que si on le veut bien.
Nous sommes trop peu nombreux à porter le regard oblique sur le monde humain, trop humain, et à penser croche, cette manière désolante de tout remettre sens dessus dessous pour voir l’envers du décor pour ce qu’il est : une Machine de destruction massive qui broie les humains et le vivant et nous fait broyer du noir.
Mais c’est trop facile de les traiter de cons, ils sont ce que la Machine fait d’eux, des engrenages, car la dissociation est totale entre le geste individuel et le résultat de la masse des gestes individuels. Notre gain personnel à court terme engendre la perte total à long terme et nous n’avons aucun incitatif à agir autrement, sachant que tout le monde devrait le faire mais que seul, nous ne pouvons rien, aucun incitatif sinon un impératif moral qui sonne comme le commandement d’une divinité austère ne promettant le bonheur qu’au paradis, entendu qu’il faut traverser le désert de la répression des désirs pour y arriver, endurer les souffrances et les privations, se faire fort de notre maigreur, de nos sacrifices au quotidien, de notre contentement d’un moins que rien vaut mieux que tout perdre éventuellement … et pourtant voici la voie de la félicité suprême si on en croit les mystiques de tout âge et de toute confession. Et pourquoi ne serait-il pas plutôt radieux ce quotidien fait de petits gestes, de petits riens que l’on chérirait d’autant plus qu’on les saurait durables, éternels comme le paradis?
Pourquoi ne pas envisager la simplicité comme une vertu, le dénuement comme une toge impériale, l’impérieux désir inutile jugulé comme un tigre mis en laisse, apprivoisé, qu’on pavane pour montrer notre magnificence intérieure, notre force de caractère, notre morale irréprochable, notre engagement pour les générations futures et les êtres sans voix à qui l’on donnerait ainsi droit de cité, dont on se ferait le portevoix, dont on porterait la croix?
