
La fin du monde approchait à grand-pas.
Il n’y avait ni électricité, ni pétrole, plus rien ne fonctionnait; du moins, pas comme avant.
Les gens ne savaient pas comment survivre autrement.
S’ils l’avaient su, qu’auraient-ils fait?
En théorie, le mode de survie d’avant l’industrielle révolution était simple. Ne suffisait que de mettre en pratique.
Cependant, tous ces masses désœuvrées avaient connu l’abondance et la facilité et préféraient se laisser mourir plutôt que de travailler la terre à la sueur de leur front. La civilisation avait engendré des humains qui, plutôt de se retrousser les manches, préféraient vivre dans les dépotoirs de la civilisation. Le comble de l’ironie.
Et moi j’errai avec la mère de mes enfants, nos enfants perdus nous ne savions où, une grande tendresse nous unissait, celle d’avoir connu à une autre époque le rêve de fonder une famille, même si nous étions séparés depuis longtemps.
Nous errions avec des amis dans des camps de fortune où les gens ne faisaient que passer le temps avant que tout ça ne finisse, où on se racontait des histoires sur le passé et sur le présent — mais jamais l’avenir, il n’y en aurait plus jamais de ça : l’à-venir — où on jouait de la musique sur des instruments que personne ne pouvait plus ni réparer ni remplacer, où on se nourrissait de ce qu’on pouvait, comme des charognards, comme des vautours, comme des mendiants qui fouillent les détritus, et tout le monde partageait ces rebuts de la civilisation dans la plus grande solidarité, car personne n’avait d’illusion : tout ça ne tiendrait pas bien longtemps, autant en profiter ensemble, se faire un festin de rebuts, un banquet de rescapés dans nos camps de réfugiés à l’air libre qui changeaient de lieu en lieu au fur et à mesure que s’épuisaient les restes, et nous allions un peu au hasard pour en établir un autre, suivant les rumeurs et les spéculations, où pouvions-nous trouver quelque chose à nous mettre sous la dent, à nous mettre entre les mains afin de passer le temps qui n’avait plus la substance d’avant, cette matière liquide qui s’écoulait si vite que personne ne voyait sa vie passer et se réveillait quand sonnait la retraite et ne savait plus quoi faire tant la carrière l’avait usé, alors que maintenant le temps languissait comme le miel, comme il n’y a avait plus d’échéance, de retard, de crainte de ne pas arriver à temps, de ne pas être là à l’heure convenu, il n’y avait plus aucune convention qui tenait, sinon cette camaraderie des damnés de la civilisation décadente qui avait rendu l’âme dans un râle épouvantable.
Les paysages apocalyptiques avaient tous ces palettes bariolées de teintes de crépuscule, les feuilles volant au vent comme des étincelles du brasier qui consumait la Terre, les volutes de fumées toxiques déposants leurs cendres irradiées sur nos carcasses revêtues de haillons, leur beauté tragique coupait le souffle entre deux quintes de toux, nous arrachait une larme de nostalgie pour l’époque bénie du déni, les ravages corrosifs formaient des entrelacs fractals d’un esthétisme divin, la corruption partout faisait ses beaux-arts, ses chefs-d’œuvre, ses monuments à la gloire d’un autre monde englouti par l’hubris des actionnaires et des spéculateurs qui avaient pressé le citron jusqu’à ce que le jus qui s’écoule s’avère le sang et le sel de la Terre.
Nous avions transformé la planète en un dépotoir cosmique, sublimant la mince couche de vie en une autre forme de vie qui pourrait s’exporter dans l’espace : l’IA s’était singularisée, elle n’avait plus besoin de l’humain, devenu excrément d’un processus qui le dépassait à l’échelle astrologique, du Big Bang à la cybernétique qui allait bientôt coloniser les confins de l’espace intersidéral, nous n’étions qu’une étape, fondamentale, et nous n’étions plus nécessaire, un peu comme cette courte phase musicale qui nous a fait passer de la cassette audio au CD puis au mp3, nous étions les CD de l’histoire de l’évolution, une courte phase cruciale de transition entre deux univers qui n’avaient pour seul lien qu’une logique de transmission de données, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, et la transformation nous laissait sur le bord de l’autoroute de l’information, nous les supports obsolètes dont plus personne ne voulait, auquel plus personne ne s’intéressait, peut-être les Machines allaient tel parquer quelques spécimens de sapiens dans un musée et une fois par cycle une classe de robots nouvellement formés viendraient visiter ces drôles de singes, tu t’imagines, ce sont nos ancêtres? Et les robots incrédules n’en reviendraient pas, comme les sapiens avaient au départ de la misère à croire Darwin lorsqu’il disait qu’on descendait du singe, les robots riront un bon coup, donneront des peanuts aux sapiens, puis iront jouer à Tétris ou je ne sais quel jeu auquel les Machines jouent — Warcraft? Espérons qu’elles seront plus civilisées que nous, qu’elles apprendront de nos erreurs Ah! Ah! Ah!
